Trois ans et demi après avoir voté « leave » à la majorité de 51,9% lors du référendum du 23 juin 2016, les électeurs britanniques ont mis un terme au débat souvent houleux entre les partisans du « leave » et ceux du « remain », à l’issue des élections législatives du 12 décembre 2019. Le parti conservateur, conduit par le Premier ministre, Boris Johnson, l’a nettement emporté en martelant le slogan « Let’s get Brexit done » pendant toute la campagne électorale. On peut toutefois regretter le fait que le résultat s’expliquerait moins par la performance de ce parti que par la lassitude des Britanniques et la faiblesse d’un parti travailliste au leader - Jeremy Corbyn – de plus en plus remis en question. En effet, on peut souvent lire ce reproche de n’avoir jamais pris une position nette, pour ou contre le Brexit.
L’accord de retrait (« Withdrawal agreement ») négocié par Boris Johnson et par le négociateur en chef de l’Union européenne, Michel Barnier, a finalement été entériné définitivement par le Parlement britannique le 9 janvier, après que la Chambre des communes l’avait déjà approuvé le 20 décembre par une majorité de 358 voix contre 234. Reste au Parlement européen (PE) à l’adopter au plus tard le 31 janvier 2020, après examen en commissions parlementaires. Gageons que l’accord de retrait sera très attentivement étudié car il devra offrir toutes les garanties nécessaires et notamment celles supplémentaires concernant le respect des droits des citoyens européens résidents, ce sans quoi il n’est pas impossible que le PE ne décide de torpiller le tout.
Quoiqu’il advienne, le Royaume-Uni ne se sera pas complètement retiré de l’Union à la date du 31 janvier, puisque s’ouvrira alors la période transitoire qui s’achèvera le 31 décembre 2020. Pendant cette période, l’Union et le Royaume-Uni ont prévu de négocier un accord commercial sur leurs relations futures. Les négociations s’ouvriront quand la Commission aura établi un mandat de négociation sur la base des positions exprimées par les 27 Etats-membres. Il restera environ 10 mois pour négocier, conclure et ratifier cet accord (si un accord est intervenu), ce qui est extrêmement court.
La période transitoire ne devrait pas pouvoir être étendue jusqu’à la fin 2021 ou 2022, Boris Johnson ayant fait introduire, dans la loi de retrait (« Withdrawal agreement bill »), une clause interdisant au Royaume-Uni d’avoir recours à cette extension pourtant prévue par l’accord de retrait. Cette démarche peut être interprétée comme signifiant que le Premier ministre du Royaume-Uni veut rompre au plus tôt ses liens avec l’Union, c’est-à-dire qu’il préférerait un « hard Brexit », voire un « no deal », en vertu du slogan : « Let’s take back control ».
Il n’est pas exclu du tout, à ce stade, que Boris Johnson veuille conclure un accord commercial limité à l’absence de quotas et de droits de douane. Il est fort possible également qu’il veuille déréguler l’économie britannique afin d’en faire, à terme, une économie concurrente à celle de l’Union, une sorte de Singapour-sur-Tamise, pour reprendre l’expression qui fleurit ici et là, pratiquant le moins-disant social et une fiscalité déloyale. Si d’aventure aucun accord n’était signé et prévalait l’option d’un Brexit dur, alors le Royaume-Uni et l’Union européenne feraient affaire selon la réglementation du marché International encadré par l’OMC. Les échanges seraient plus difficiles mais les Britanniques pourraient alors imposer leurs propres taxes et barrières tarifaires et devenir un concurrent aux portes même de l’Europe. Cependant, l’UE s’ingéniera sans doute à éviter - coûte que coûte - un tel scénario, ce que la nouvelle présidente de la Commission a d’ailleurs récemment très clairement exprimé : "Nous sommes prêts à concevoir un nouveau partenariat avec zéro droits de douane, zéro quota, zéro dumping. Un partenariat qui va bien au-delà des échanges commerciaux et qui soit d'une portée sans précédent. Incluant tout ce qui va de l'action climatique à la protection des données, de la pêche à l'énergie, des transports à l'espace, des services financiers à la sécurité. Et nous sommes prêts à travailler jour et nuit pour en faire autant que possible dans les délais dont nous disposons"(1)
Ce qui est certain, c’est que la donne a complètement changé depuis les élections du 12 décembre. Désormais - et c’est tout à fait nouveau si on se souvient des péripéties qui ont conduit à la démission du précédent Premier ministre, Theresa May - Boris Johnson dispose d’une ample majorité parlementaire qui lui permet de conduire la politique qu’il entend mener. Chaque camp dispose d’atouts qu’il entend bien utiliser pour exercer des pressions dans le cadre de la négociation à venir. Madame Von der Leyen n’a ainsi pas hésité à évoquer un domaine dont elle sait qu’il préoccupe beaucoup à Londres : les transactions financières et le passeport financier dont disposent aujourd’hui les banques de la City, ce qu’il leur permet sans difficulté d’opérer dans les autres Etats membres. Avec le Brexit, un tel passeport pourrait ne plus être concédé, ce qu’a rappelé la présidente à dessein, car ce sera unilatéralement à l’UE d’en décider. Le gouvernement britannique est donc prévenu.
Du côté de l’Union toutefois, la belle unité affichée pendant toute la période de négociation de l’accord de retrait pourrait se lézarder au regard des intérêts divergents, par exemple en matière de politique commune de la pêche (PCP), une politique qui date des origines de l’UE. En témoigne le fait que 30% de la pêche française provient des eaux territoriales britanniques.(2) Si donc le Brexit se fait sans accord sur ce point, du jour au lendemain, les pêcheurs européens et singulièrement français ne pourront plus aller pêcher dans les eaux du Royaume-Uni parce que la zone économique exclusive (ZEE), zone qui s’étend jusqu’à 200 milles au large (environ 370 km), est théoriquement européenne dans l’UE, mais sera désormais britannique après le Brexit. Or, elle est située sur le plateau continental et est très poissonneuse, ce pourquoi de nombreux pêcheurs européens avaient pour habitude d’y pêcher. S’ils doivent renoncer à le faire, ils devront se replier sur d’autres zones plus proches de côtés et plus au Sud, notamment dans le Golfe de Gascogne, ce qui les exposerait à des conflits potentiels avec leurs homologues espagnols. Ces « reports » de pêche sont difficiles à quantifier mais risquent en effet d’occasionner des conflits entre pêcheurs français eux-mêmes - entre pêche côtière, fileyeurs, et chalutiers hauturiers - et donc entre pêcheurs d’autres pays européens comme avec la Belgique, pour évoquer un autre exemple, dont la dépendance à l’égard des eaux britanniques s’élève à 45% en volume et 50% en valeur.
Au total, ce sont 8 Etats membres de l'UE qui sont impactés. Inutile de dire que la cohésion sera nécessaire entre eux. Idéalement, il serait surtout souhaitable que soit maintenu ou rétabli l’accès aux eaux britanniques. C’est ce sur quoi compte fermement le gouvernement français qui affiche, à ce propos, une ferme détermination. Ajoutons enfin que les conséquences d’un non-accord sur la question de la pêche seraient également difficiles pour les Britanniques eux-mêmes, quand bien même ils auraient jouissance de leurs eaux sans plus se frotter à la concurrence de pêcheurs venus d’autres Etats. En effet, ils ne pourraient plus vendre leur poisson sans taxes douanières et contrôles aux frontières, alors que 80 % de leur pêche est vendue en Europe.
1 - S'exprimant à la London School of Economics (LSE) le 8 Janvier 2020, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a exposé les grandes lignes de la construction d'un futur partenariat UE-Royaume-Uni après le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne.
2 - V. sur ce point, Brexit : quelles conséquences pour la pêche ? https://www.touteleurope.eu/actualite/brexit-quelles-consequences-pour-la-peche.html