Le nouveau pacte Européen sur la migration et l'asile

L’incendie dans l’indigne camp de Moria à Lesbos en Grèce en septembre dernier a (re)mis en lumière un système inefficace, souvent qualifié d’inhumain (1) : le règlement de Dublin III. Si l’origine exacte de l’incendie reste incertaine, celui-ci semble être symptomatique de la surpopulation et du désespoir extrêmes qui régnaient au sein du camp. (2) 

Le règlement Dublin III prévoit que les demandeurs d’asile voient leurs de- mandes traitées par le pays dans lequel leur arrivée a été enregistrée. Ce système est profondément inique car il abandonne à leur sort les pays méditerranéens tels que la Grèce, l’Italie, l’Espagne et Malte. (3) Une semaine après son discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission Européenne, Ursula Von der Leyen, a présenté le Pacte européen sur la migration et l’asile. Prévu depuis mars dernier, il était l’une des premières promesses de la présidente. Il affiche deux objectifs principaux. 

Le premier objectif est la lutte contre l’immigration illégale et l’accélération des reconduites à la frontière. Est notamment mise en place une procédure accélérée de traitement des demandes d’asile aux frontières de Schengen à laquelle seront soumise les demandeurs venant de pays dont 80% des demandes sont habituellement déboutées. Ce mécanisme n’est pas sans rappeler celui de la procédure dite ‘accélérée’, en France, à laquelle sont soumis les étrangers originaires de pays dits ‘d’origine sûre’ comme l’Albanie, le Sénégal, l’Inde, ou le Kosovo. (4) Cette procédure est considérée comme offrant moins de garanties procédurales et se transforme en un véritable piège pour certains demandeurs d’asile réfugiés politiques ou bien discriminés en raison de leur orientation sexuelle dans leur pays. En effet, ils se retrouvent à devoir quémander à la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) une application du droit commun (notamment le bénéfice de la collégialité, gage d’impartialité), tout en étant jamais certains de l’obtenir et n’ayant aucun autre recours en cas de refus de la CNDA – juste à cause de leur pays d’origine, et alors même que leur demande d’asile peut être parfaitement fondée. 

Cette mission de contrôle préalable à l’entrée sur le territoire sera notamment confiée à l’agence Frontex (ainsi qu’au Bureau européen en matière d’asile) , qui est devenue la plus puissante administration n’ayant jamais existé au sein de l’UE, avec un budget annuel qui, selon la Cour des Comptes européenne, aura excédé le milliard d’euros pour la période 2019-2020, et atteindra 11 mil- liards d’euros pour la période 2021-2027 (5), et alors que cette agence ne fait l’objet d’aucun véritable contrôle parlementaire. (6) 

Le Parlement européen ne peut contrôler cette institution qu’indirectement – par le biais de commission des budgets, en lui allouant tout simplement moins de fonds. 

Comment faire confiance à Frontex pour respecter les droits des étrangers, quand on sait que les navires des garde-frontières européens éviteraient volontairement les secteurs où les embarcations de réfugiés chavirent ? (6) Pire, un rapport publié en mars 2019 par les officiers aux droits fondamentaux de Frontex fait état de ce que les employés de l’agence transgresseraient très fréquemment les normes internationales relatives aux droits humains lors de « vols d’expulsion ». (6) Ce document précise également que des mineurs sont parfois reconduits à la frontière sans être accompagnés par des adultes, alors qu’une telle procédure est illégale dans la majorité des pays de l’UE (7), et que la directive européenne relative au retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier interdit dans son article 10 d’expulser un mineur d’un Etat-membre de l’Union européenne sans préalablement s’assurer qu’il sera remis à sa famille ou un tuteur désigné dans l’Etat de retour. (8) 

Le second objectif du Pacte est la mise en place d’un système de solidarité entre les États- membres. Ceux-ci se voient attribuer la responsabilité d’un certain nombre de demandeurs d’asile. S’ils refusent de les accueillir, ils doivent prendre en charge le retour de migrants illégaux, ou bien contribuer à la construction de nouveaux camps dans les pays d’accueil. 

Le mécanisme de solidarité est essentiel. Mais existera-t-il vraiment ? En pratique, il semblerait que les demandeurs d’asile seront toujours pris en charge par le pays dans lequel leur arrivée a été enregistrée. Le seul changement sera que les pays membres qui refusent de prendre leur part devront contribuer financièrement au retour de migrants irréguliers ou bien à la construction de camps de migrants. On peut donc craindre que les migrants continuent à s’en- tasser dans les mêmes pays méditerranéens. 

Contrairement à ce qui avait pu être annoncé par la présidente de la Commission européenne, la proposition de réforme n’est pas une « abolition du règlement de Dublin ». (9) Il n’y a pas de véritable innovation, si ce n’est que les Etats européens souhaitent pousser encore plus loin la logique de filtrage ainsi que la sous-traitance de leur contrôle. Encore une fois, des moyens très importants vont être consacrés à financer la construction d’obstacles physiques, juridiques et technologiques, ainsi que la construction de camps, alors qu’ils pourraient être utilisés à bon escient afin de favoriser l’intégration des personnes migrantes. 


Marianne Leloup

Référence

1.Voir le Rapport d’observation de La CImade, Règlement Dublin : La machine infernale de l’asile européen 

2.“The Moria refugee camp fire was a cry for help from asylum seekers dehu- manized by Greece and the EU”, The
Independent, 15 septembre 2020 : https://www.independent.co.uk/voices/ moria-fire-refugee-camp-asylum-seekers-coronavirus-lesbos-gree- ce-eu-b446213.html ; “Moria migrants: fire destroys Greek camp leaving 13,000 without shelter”, BBC News, 9 septembre 2020 : https://www.bbc.com/news/ world-europe-54082201 ; MSF, Incendie dans le camp de Moria en Grèce : le résultat de cinq ans de traitements inhumains, 9 septembre 2020 https://www. msf.fr/actualites/incendie-dans-le-camp-de-moria-en-grece-le-resultat-de- cinq-ans-de-traitements- inhumains 

3.« Une Europe ouverte ? », infographie du Parlement européen : https://www. europarl.europa.eu/infographic/welcoming-europe/index_fr.html#filter=2019 

4.Décision du 9 octobre 2015 fixant les pays d’origine sûrs, Ministère de l’Intérieur, publiée au Journal Officiel du 17 octobre 2015 : https://ofpra.gouv.fr/sites/default/files/atoms/files/151017_jorf_decision_ca_ ofpra_du_9_octobre_2015.pdf 

5.Audit preview, European Court of Auditors, janvier 2020 : 

https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/AP20_02/ AP_Frontex_EN.pdf 

6. Mediapart.fr, Peut-on contrôles les contrôles de Frontex, 16 août 2019 

7.“Returning unaccompanied children: fundamental rights consideration”, rapport de l’Agence des droits
fondamentaux de l’Union européenne : https://fra.europa.eu/sites/default/ files/fra_uploads/fra-2019-returning-unaccompanied-children_en.pdf 

8.Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du conseil : https://eur-lex. europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32008L0115&from=EN 

9.https://www.rtbf.be/info/monde/europe/ detail_migration-l-ue-veut-en-finir-avec-le-reglement-de-dublin-pilier-de-l- asile-pointe-du-doigt?id=10586202 

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Résumé
L’incendie dans l’indigne camp de Moria à Lesbos en Grèce en septembre dernier a (re)mis en lumière un système inefficace, souvent qualifié d’inhumain : le règlement de Dublin III. Si l’origine exacte de l’incendie reste incertaine, celui-ci semble être symptomatique de la surpopulation et du désespoir extrêmes qui régnaient au sein du camp. Le règlement Dublin III prévoit que les demandeurs d’asile voient leurs demandes traitées parle pays dans lequel leur arrivée a été enregistrée. Ce système est profondément inique car il abandonne à leur sort les pays méditerranéens tels que la Grèce, l’Italie, l’Espagne et Malte. Une semaine après son discours sur l’état de l’Union, la présidente de la CommissionEuropéenne, Ursula Von der Leyen, a présenté le Pacte européen sur la migration et l’asile.Prévu depuis mars dernier, il était l’une des premières promesses de la présidente. Il affiche deux objectifs principaux.
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