Comme nous l’expliquions dans notre analyse du 29/10, le mois prochain, la Commission, le Parlement et le Conseil des ministres doivent commencer à négocier (trilogue) la forme finale de la réforme de la politique agricole commune, qui représente près 387 milliards d’euros par an de subventions aux agriculteurs. Les députés européens avaient voté à une large majorité fin octobre, les trois rapports constituant la nouvelle politique agricole commune (PAC), avec une forte opposition du groupe Verts/ALE. Les opposants à cette réforme de la PAC considèrent que les objectifs écologiques du texte adopté sont insuffisants et superficiels; ils ne désarment pas.
La réforme principale est celle des éco-régimes, (voir 4.1) dans des secteurs tels que l’agroforesterie ou l’agroécologie. L’Allemagne, qui préside le Conseil, a fait pression pour que 20 % des 258,6 milliards d’euros de paiements directs de la PAC (premier pilier) soient consacrés à ces éco-régimes. L’objectif pourrait être porté à 25 % dans le cadre d’un trilogue entre les pays, le Parlement et la Commission européenne.
La PAC utilise un système de paiement basé sur la superficie qui récompense les grandes exploitations, en allouant 80 % de son budget aux 20 % des propriétaires les plus importants. La Commission a proposé à l›origine d›introduire un plafond pour les paiements individuels dépassant 100 000 euros. Cette proposition a été rejetée par les États membres de l’UE en juillet, après une forte opposition de pays tels que la République tchèque. Cependant, la question est revenue sur le devant de la scène politique, les députés européens tenant au plafond. Ces derniers ont voté pour réduire progressivement les paiements directs annuels aux agriculteurs au-dessus de 60 000 euros et pour les plafonner à 100 000 euros.
Nous voulons sortir de ces logiques qui opposent efficacité économique et efficacité écologique. D’abord en amplifiant la part des « éco-régimes » à 50%, voire 60%, de l’enveloppe attribuée aux agriculteurs pour avancer significativement vers des pratiques servant les intérêts du climat, de la biodiversité. Ces éco- régimes servent les intérêts écologiques et par eux, on peut aussi donner une signification économique aux agriculteurs.
Voyez le médecin qui prend soin de notre santé avec l’enveloppe collective de la sécurité sociale : on le rémunère parce qu’il nous aide à entretenir notre santé collective. Avec les éco-régimes, on rémunère l’agriculteur parce que dans ses pratiques il prend soin du climat, de la biodiversité et de notre santé parce qu’il n’utilise plus de pesticides contaminant l’air qu’on respire, l’eau qu’on boit, et la nourriture qu’on mange. L’agriculteur devient donc un acteur de l’économie qui prépare au mieux l’avenir des générations futures.
Avec nos propositions, on change d’approche : on ne parle plus de subventions. On rémunère les agriculteurs parce qu’ils rendent service à l’intérêt commun.
Comme précédemment pour de nombreuses autres professions libérales - les notaires qui avaient leur épouse à l›accueil ou les conjointes de médecins secrétaire en charge de la prise de rendez-vous – la législation a su donner un statut aux conjointes. A la suite d’un accident de la vie, la carrière professionnelle de ces femmes ne doit pas se retrouver réduite à néant parce qu’elles ont toujours travaillé dans l’ombre de leurs maris. En agriculture, c’est tellement fréquent ! Des femmes qui au moment de prendre leur retraite se retrouvent avec aucune pension parce qu’on ne savait même pas qu’elles existaient. Donnons-leur un statut !
Cela rejoint notre volonté de changer le « cœur du réacteur » de la PAC. Aujourd’hui, et c’est ce qui a été voté la semaine dernière, on continue à distribuer les dettes publiques par unité de surface. C›est-à-dire que plus on a d’hectares, plus on a d’aides. Ça mène à ce que j›appelle une « politique cannibaliste ». On a des agriculteurs qui se mangent entre eux parce que derrière chaque hectare, il y a une rente d’argent public. C’est la raison de ces dérives-là.
Nous proposons plutôt de distribuer l’enveloppe publique de la PAC par unité de main d›œuvre. La logique est là : plus il y a d›emplois sur la structure, plus on ouvre l›enveloppe possible. Ceci nous renvoie au statut de la conjointe : si on lui donne un vrai statut, au regard du droit du travail, elle devient éligible aux aides à l’emploi et donc elle permet de mobiliser une partie dans l’enveloppe PAC en tant qu’unité de main-d’œuvre.
La principale dérogation concerne l’obligation [par les ministères nationaux, ndlr] au « verdissement de la PAC » : concrètement, il est indispensable de faire des «cultures intermédiaires» entre deux cultures principales (les cultures principales qualifient celles qui génèrent des revenus pour les agriculteurs, ndlr). Les cultures intermédiaires sont des pièges à nitrates; elles préservent les nappes phréatiques et limitent ainsi la pollution de l’eau. En outre, elles ont un intérêt agronomique parce qu’elles nourrissent le sol, permettent d’augmenter le taux de matière organique et de les structurer. Malheureusement le syndicat majoritaire (ndrl : FNSEA en France) trouvent systématiquement une bonne raison pour éviter l’installation de ces cultures intermédiaires, depuis 2013.
En d’autres termes, si l’Union européenne exige un verdissement de la PAC via l’installation de cultures intermédiaires, l’État français permet de déroger à cette règle, et des agriculteurs touchent les aides au verdissement sans remplir les conditions.
Parfois, la Commission européenne rappelle à l’ordre certains États-membres. Cela se traduit par des condamnations et des demandes de remboursement, par l’Union européenne, d’un certain volume d’aides pour lequel elle considère qu’elles ne sont pas justifiées, au regard des exigences écologiques. Donc, encore, trop souvent les États préfèrent payer des amendes et rendre des subventions plutôt que de se plier aux ambitions écologiques de l’Union.