La certification des élections dans l’Etat du Michigan et le Commonwealth de Pennsylvanie a mis fin au suspense des dernières semaines et l’administration des services généraux (GAS) a informé le président-élu Joe Biden que l’administration Trump se tient prête à entamer le processus officiel de transition. L’équipe de M. Biden n’avait pas attendu le processus de transition officiel pour commencer a préparer la présidence. En effet, M. Biden a annoncé plusieurs choix de cabinet lundi.
Le nouveau chef de cabinet de la Maison Blanche, Ron Klain, a ensuite laissé entendre des nominations prochaines.
En plus du retour de John Kerry, acteur clef des Accords de Paris, les noms des futurs représentants de l’Amérique post-Trump revêtent un écho particulier en Europe. Antony Blinken secrétaire d’État adjoint et principal conseiller adjoint pour la sécurité nationale sous B. Obama, a confirme mardi qu’il serait nomme à un poste de secrétaire d’État. Jake Sullivan a été nommé conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche.
Le premier est un francophone et francophile, ancien élève de l’Ecole Active Bilingue Jeannine Manuel à Paris. Le second fait partie des membres de l’administration Obama remarqué pour son action dans les négociations avec l’Iran. En apparence donc, s’annonce un changement radical de politique étrangère pour les Etats-Unis, et donc pour l’Europe.
Doit-on y voir un retour du multilatéralisme et un recul des puissances illibérales ?
Qu’adviendra-t-il des dissidences que l’hostilité américaine a pousse à renforcer, en renforçant leur coopération et action commune ?
Enfin, n’est-ce pas se leurrer que d’attendre d’outre-Atlantique la salvation politique ?
Notre invité abonde en ce sens : « c’est uniquement en devenant une puissance politique et militaire que l’Union européenne pourra durablement resserrer son alliance avec l’Amérique. » écrivait-il dans un billet du 9 novembre.
Dans la victoire de Biden, il y a un élément formidablement positif, et un élément extraordinairement inquiétant.
L’élément positif est qu’aussi bien dans le monde politique, que parmi les électeurs et les citoyens américains de base, il y a eu un rassemblement des gens de bon sens, de la gauche du parti démocrate aux indépendants et à la frange la plus libérale, au sens américain, du parti républicain, pour défaire un homme totalement irresponsable, dangereux pour la démocratie, et dangereux pour la stabilité du monde. Ce rassemblement est possible, il l’a été aux Etats-Unis, et il peut, à mon sens, être possible en Europe.
Il faut cependant constater que l’électorat de Trump est resté extraordinairement solide, qu’un nombre tout à fait impressionnant d’Américains continue à lui faire confiance avec ferveur, et il y a là évidemment quelque chose d’extrêmement inquiétant.
A partir de maintenant, M. Kaczynski en Pologne, M. Orban en Hongrie, Mme Le Pen - qui, il n’y a encore pas si longtemps, reprenait la rhétorique de Trump sur la légitimité du scrutin – se retrouvent privés virtuellement de ce qu’on pourrait appeler leur « parapluie américain ». Ils viennent de perdre leur caution politique en la personne de Donald Trump.
En résumé : nous n’en avons pas fini avec les nouvelles extrêmes droites, loin de là, mais elles viennent avec l’élection américaine de prendre un mauvais coup.
L’accord commercial me semble compliqué, pour deux raisons : l’ensemble des opinions publiques (européenne et américaine) sont devenues rétives vis à vis de tout traité de libre-échange, et M. Biden fera face à autant d’oppositions que les dirigeants européens en la matière. Un accord commercial : peut-être, mais sans aucune évidence, et sans aucune facilité.
Le grand changement est que beaucoup des pays, courants politiques, et citoyens européens les plus atlantistes, vont se dire qu’avec Biden on en revient au Business as usual. Le « parapluie américain » devrait redevenir ce qu’il était durant la guerre froide. Donc, nous n’aurons plus à nous soucier d’une défense commune européenne, de l’affirmation d’une souveraineté européenne et d’une UE comme acteur de la scène internationale. C’est une erreur. En effet, M. Trump, ne disait - que plus brutalement et grossièrement - ce qui était implicite depuis le second mandat de G.W Bush et les deux mandats de B. Obama, à savoir, que les US, petit à petit, se retirent de l’Europe comme ils se retirent du Proche orient.
Les Européens semblent montrer qu’ils ont compris que les choses ont changé ; il va falloir en venir à une défense commune. Le tournant est pris, et quel que soit l’adoucissement du discours de Joe Biden, vis à vis de ses alliés européens, il n’y aura pas de retour réel des Etats-Unis en Europe, de retour à une situation telle qu’on la connaissait pendant la guerre froide, ou les 15 ou 20 années qui ont suivi.
Il y avait une réelle entente entre Trump et Erdogan. Avec l’arrivée de Biden il n’y aura plus de connivence entre Washington et Ankara. M. Erdogan le comprend si bien, que la semaine dernière il a prononcé un discours dans lequel, soudainement, il « courtise » les pays amis, partenaires, alliés de l’UE ; il semble démontrer qu’il sait qu’il n’aura plus les mains aussi libres qu’avec Trump.
Cela étant dit, si l’UE ne se décide pas réellement à s’affirmer en acteur de la scène internationale, en puissance politique, nous allons nous retrouver avec à l’Est, les nostalgies russes poutiniennes ou, au Sud la Turquie, les chaos des mondes arabes et, à l’Ouest, les flottements, manifestes de l’absence de notre allié américain.
Nous sommes à un moment de décision. La crise dramatique en Ethiopie nous le dit assez. Il n’y aura pas d’intervention américaine pour arrêter ce dérapage, ni chinoise ni russe, ni de l’ONU. Si l’on ne fait rien, ce qui est malheureusement possible, pour ne pas dire probable, l’Europe peut se retrouver avec une nouvelle vague de centaines de milliers de migrants, fuyant les massacres et la famine – avec toutes les conséquences, de politique intérieure que cela peut emporter.
Au-delà des drames humains, il faut garder en tête toutes les conséquences que cela peut avoir en faveur des thèses des extrêmes droites, des peurs, voire des paniques des opinions publiques européennes. L’Ethiopie, en ce moment, est une piqure de rappel : nous devons absolument nous doter de forces armées agissant de manière coordonnée. Et surtout - avant tout- faire la preuve d’une volonté politique d’exister et de se comporter comme une puissance mondiale.