II y a une différence entre ces deux États que l’on peut qualifier de ‘dissidents’ et le Royaume-Uni puisque le Brexit résulte d’un vote démocratique, d’une décision d’un État-membre de quitter l’UE et non l’inverse. Toutefois, vous avez raison, d’abord, on parle de plus en plus de ces deux États-membres et de la façon dont ils menacent l’État de droit. Ce concept regroupe les valeurs démocratiques, les libertés fondamentales.
C’est notre socle fondamental, je crois qu’on a plus conscience qu’avant de leur importance et du fait que ces principes ne sont pas automatiques et acquis pour toujours, il faut les défendre. Nous ne sommes pas emportés dans un mouvement de progrès perpétuel ou de « Fin de l’Histoire », dans lequel tous les États tendraient vers un régime démocratique libéral. Ça n’est pas le cas et il existe au sein même de l’Europe une cassure sur ce point.
Néanmoins, je crois qu’il est important de ne pas faire de ce débat un affrontement Est/Ouest. C’est plus compliqué que cela et ça serait arrogant et réducteur d’englober toute la région à cause des actes de ces deux États-membres. Il y a des pays de la même région qui y sont très attachés. Des gouvernements se sont exprimés, pour la première fois de manière aussi nette, comme en Slovaquie et en Roumanie et se sont opposés aux positions de la Hongrie et de la Pologne.
Au sein de ces derniers, il y a des partis politiques et des citoyens qui se battent sur le terrain pour les valeurs de l’Europe et l’État de droit. A l’inverse, à l’Ouest, dans les pays fondateurs, des forces populistes accèdent au pouvoir ou aux coalitions gouvernementales. Il ne faut donc pas faire de généralité et brosser un portrait de l’Ouest comme exonérée de toute régression démocratique et de l’Est comme voué à l’échec.
Maintenant, lorsque des États-membres de l’UE ne respectent pas les règles communes, il faut des mécanismes de sanction. Il y en a déjà : la Cour de Justice de l’Union européenne peut intervenir, il y a aussi des procédures politiques et symboliques comme celle de l’Article 7 du Traité sur l’Union européenne. Nous avons complété ces mécanismes par un mécanisme budgétaire qui lie solidarité budgétaire au respect de ces valeurs et, je pense, que nous devons tenir bon sur ce point.
Il faut rappeler que cette conférence est une initiative lancée par le Président français à l’été 2019. Cette proposition part du constat que nous ne disposons pas, en Europe, de lieu et de moment de pouvoir propice à la décision collective qui nous engage ensemble sur plusieurs années.
Il y a, bien sûr, les élections européennes mais les listes ne sont pas transnationales et ce n’est pas un moment politique qui nous permet de décider d’une trajectoire collective commune sur 5 ans. Même si lorsqu’on sait en montrer les enjeux, comme ce fût le cas en 2019, les élections européennes peuvent mobiliser largement les citoyens, ça n’est pas suffisant. Il nous faut ‘plus que ça.’
Le Conseil européen ne joue pas ce rôle de ‘traceur années’ puisque son activité est le plus souvent consacrée à l’urgence et aux crises. Il n’établit pas de lignes directrices sur 4 ou 5 ans comme c’est le cas au sein des États-membres.
Au niveau national vous avez, partout en Europe, des élections qui ouvrent un débat démocratique sur les grandes priorités politiques des années à venir : sociales, commerciales, diplomatiques, sécuritaires, environnementales. Il nous faut définir au niveau européen nos intérêts dans un exercice de réflexion long qui durerait plusieurs mois, pendant lesquels les contributions seront multiples.
Nous voulons associer les citoyens, je crois beaucoup par exemple aux panels de citoyens, au dialogue interinstitutionnel afin d’amasser des propositions diverses. Un tel exercice est un pari et n’a jamais été réalisé mêmes si plusieurs tentatives ont déjà été faites : par Michel Barnier - qui a été l’un des premiers à avoir cette intuition -, il y a quelques années, avec un dialogue national sur l’Eu- rope, ou encore par Nathalie Loiseau avec l’idée des consultations citoyennes sur l’Europe. Je crois qu’il faut aller plus loin que ces propositions et assumer le modèle de la délibération citoyenne, sur le modèle de la convention citoyenne sur le climat comme en Irlande ou en France.
Nous devons assumer la confrontation entre les citoyens et les experts afin d’essayer d’en extraire un certain nombre de propositions. Ce moment nous manque en Europe et doit être envisagé comme une innovation. Il ne s’agirait pas ici de réfléchir à nos institutions, comme ce fût le cas dans les conventions menées par Valéry Giscard d’Estaing, mais de déterminer ce qu’est une politique commerciale ou climatique européenne.
On aimerait que cela se fasse sous la présidence française, en 2022.
Je vois ces deux acteurs comme des partenaires nécessaires mais différents. D’une part, nous avons une relation particulière avec les États-Unis : nous partageons des modes de fonctionnements, des valeurs et des intérêts communs. C’est un allié et un proche partenaire, même si nous avons des désaccords.
J’espère mieux travailler avec la nouvelle administration sur des questions d’environnement et de réforme du système commercial international. Je crois en effet qu’il ne faut pas résumer la relation transatlantique à l’OTAN, même si sur ce point l’Europe sera sans doute amené à faire plus, durablement. Il y a là une tendance longue qui avait commencé avant l’administration de Donald Trump et qui lui succèdera en des termes plus polis et coopératifs. Dans d’autres domaines il faut inventer des cadres de discussions transatlantiques : dans celui du climat par exemple, mais aussi dans celui du commerce, pour la réforme de l’OMC. Il y a des cadres de coopération.
Nous devons agir avec les États-Unis face à la Chine, afin de préserver notre propriété intellectuelle, par exemple.
D’autre part, si la Chine est un adversaire sur certains plans, elle peut être un partenaire sur d’autres, sans naïveté. Nous ne devons pas chercher l’équidistance entre ces deux puissances : notre relation est plus étroite avec les États- Unis mais cela ne doit pas engendrer en Europe une certaine timidité qui nous empêcherai de travailler avec la Chine. L’Europe doit être une puissance et pour cela elle doit savoir définir soi-même ses valeurs et ses intérêts. Et ensuite trou- ver ses partenaires. Les États-Unis sont un partenaire privilégié mais pas exclusif : nous devons tenir compte de l’évolution de notre relation depuis la fin de la Guerre Froide.