Cette affirmation de la sécurité et de la défense européenne est en marche et il ne faut pas qu’elle s’arrête. Certes, il y a des nuances et des différences entre les visions de la France et de l’Allemagne notamment, même si je ne crois pas que les propos de la Ministre de la Défense allemande, Annegret Kramp-Karrenbauer résument la position de ce pays.
Les différences sont le cœur de notre histoire, et il ne fallait pas s’attendre à un grand alignement spontané de tous les États-membres puisque, à l’Est et à l’Ouest du continent, le rapport avec les Américains et la sensibilité à l’OTAN va- rie. Nous devons respecter les sensibilités de chacun.Le constat de la nécessité d’une Europe de la Défense renforcée, avec plus d’autonomie stratégique, plus d’outils d’action extérieurs, une culture stratégique commune et des outils de défense, a immensément progressé en quelques années. Dans le prochain budget européen, il y aura pour la première fois un fonds pour la défense à hauteur de 1 milliard d’euro par an. C’est peu mais c’était impensable il y a quelques années.
Est-ce qu’il y a une convergence qui s’opère depuis quelques années entre la France et l’Allemagne ? Oui.
Des actions fortes ont été entreprises et on le voit dans des domaines de coopération bilatérale comme avec le lancement du SCAF, le système de combat aérien européen du futur.
Alors, est-ce qu’on va assez vite ? Non.
Est-ce que tout le monde est d’accord à tout instant sur tout ? Par encore.
Le Code européen des affaires sera le nouveau grand sujet du marché intérieur à bien des égards. C’est un vrai manque. Un système qui s’intègre commence par lever les barrières, créer une monnaie commune et par avoir un cadre budgétaire commun. Concernant le cadre juridique commun du commerce, nous n’y sommes pas encore et le Code européen des affaires est une très bonne idée à cet égard puisqu’il permet de rendre visible le droit du commerce déjà harmonisé.
Nous allons le défendre dans les mois qui viennent, il y a un effort européen et franco-allemand à apporter. Je salue le soutien qu’EuropaNova continue à porter à ce projet. Il faut encore que la Commission européenne s’y mette, c’est un vaste chantier mais nous en avons besoin pour concrétiser davantage le marché commun.
Nous n’avons pas souhaité changer le calendrier lorsque Emmanuel Macron a été élu. Cette concomitance engendre uncertain nombre de charges supplémentaires. Elle nous oblige cependant à prendre nos responsabilités afin d’engager le débat et de prendre des positions sur des sujets clefs pour la France.
Si nous avions changé ce calendrier, cela aurait donné le sentiment - trop sou- vent émis - qu’il y a des moments où il ne vaut mieux pas parler d’Europe et renforcé l’idée qu’elle est politicienne plus que politique. Autrement dit, que nous avons l’Europe honteuse.
La France est un grand pays fondateur, très actif de l’UE. Nous avons des responsabilités institutionnelles qu’il faudra exercer avant et après le temps de l’élection présidentielle.
L’Union européenne est d’abord ce que l’on en fait.
Au moment du référendum de 2005, a émergé l’idée que les traités imposaient des politiques austères. Je ne crois pas que ça soit vrai. Cela s’est illustré récemment lorsque nous nous sommes battus avec le Président de la République pour la réforme de la loi sur les travailleurs détachés qui est une réforme sociale de régulation notre marché intérieur. Cela a été difficile et nous aurions aimé aller plus vite et plus loin. Cette réforme a néanmoins été importante et nous permet de mieux lutter contre la fraude et le détachement des travailleurs.
Puis, le rôle-clef des institutions européennes, dans cette crise sanitaire, a illustré notre solidarité par des réponses très fortes. Par exemple, la Banque Centrale Européenne - auparavant décrite comme une institution orthodoxe, construite sur un modèle allemand qui ne mène que des politiques d’austérité - a tout de même injecté massivement, comme elle l’avait fait lors de la crise précédente, plusieurs centaines de milliards d’euros dans l’économie européenne afin de soutenir la croissance et l’emploi.
Les institutions européennes n’ont pas non plus fait preuve d’austérité lorsque la Commission européenne a, dès le 13mars 2020 au début de la crise sanitaire, exprimé que les règles de budgétaires et de concurrence n’étaient plus impératives. Cela ne veut pas dire que ces règles sont inutiles, simplement qu’au vu du caractère inédit de la conjoncture, la Commission a su faire preuve de pragmatisme, de réactivité et de flexibilité. Le plan de relance en est un autre exemple.
Aussi, l’Europe s’est très concrètement incarnée, au-delà de l’action de ses institutions, par des transferts de patients entre les États-membres, en particulier avec l’Allemagne : cela montre qu’il existe une Europe qui n’attend pas les directives ou les règlements pour agir. L’action européenne donc peut être réactive et de bonne qualité. De manière provocatrice je dirais que ce n’est pas grave de ne pas aimer l’UE, chacun a le droit de ne pas se retrouver dans ces institutions, ces règles, ces lourdeurs parfois, mais néanmoins être profondément attaché à l’Europe.
Bruxelles c’est nous, et c’est ce que nous en faisons qui compte, c’est un cadre d’action. Ceux qui disent le contraire n’ont pas l’énergie de se battre. Dans un club à 27 qui peut être lourd et où les négociations peuvent être longues, des actions concrètes peuvent être menées.
Il ne faut cependant pas oublier que l’Europe n’est pas uniquement constituée d’institutions : c’est une Histoire commune, une vie culturelle et sportive, une identité commune. L’Europe ne se résume pas au coup de génie qu’ont eu Robert
Schuman et Jean Monnet en créant un projet politique, pour ne citer qu’eux. Ils n’ont pas inventé l’Europe au sens d’une culture commune, d’une conscience historique, artistique, des cathédrales et des guerres qui nous ont rassemblés et divisés, au fil des siècles.
Sur la crise sanitaire, il y a eu un modèle européen de réponse à la crise. En aucun autre endroit dans le monde on ne trouve une telle solidarité, dans un cadre de débat démocratique, malgré la diversité des acteurs impliqués. Ce qu’on remarque c’est que lorsque notre modèle est en cause, les Européens, savent montrer l’identité profonde de nos sociétés et préserver ce qui fait nos démocraties à l’européenne. Ceci même en dehors de nos cadres institutionnels. Nous devons être fiers de cela.
S’ajoute à cela ce ‘triangle de crise’ : entre crise sanitaire, économique et sociale et, sécuritaire. Il faut avouer qu’elles sont assez peu communes, mais on ne choisit pas ses crises, et l’important c’est de tenir bon et « d’en profiter » pour faire avancer les choses.
Au sortir de cette crise, nous aurons avancé sur l’Europe de la santé et derrière un slogan on pourra attester de la réalité d’actions concrètes. Nous aurons également fait avancer l’Europe de la solidarité et de l’action économique commune à travers le plan de relance.