Les Lumières de Frédéric Mauro sur la défense européenne

L’OTAN réfléchit en ce moment à un nouveau concept stratégique, alors que les Européens veulent refonder le lien transatlantique. Qui, des États-Unis ou de l’Union européenne, saura faire évoluer la situation ? 

Dans les trois premiers mois de son mandat, l’administration Biden est montée en puissance de façon spectaculaire par rapport à celle de son prédécesseur et semble faire preuve d’un grand professionnalisme. « L’Amérique est de retour » est plus qu’un slogan. C’est une réalité en train de prendre forme. Mais si la forme a changé, le fond reste le même. Vu de Washington les différentes initiatives des Européens en faveur de leur défense n’ont pas convaincu. Les Américains restent persuadés qu’ils portent seuls sur leurs épaules la défense de l’Occident et que les riches Européens n’en font pas assez pour leur propre défense. Par ailleurs, la ligne américaine vis- à- vis de la Chine n’a pas varié. Il faut donc s’attendre lors du prochain sommet de l’OTAN qui se tiendra à Bruxelles le 14 juin prochain, à ce que l’administration Biden demande à ses alliés européens de s’engager davantage en faveur de la défense collective du territoire européen, ne serait- ce que pour la décharger du problème russe et lui permettre de concentrer ses forces vers l’Asie- Pacifique. Il est même fort probable qu’elle leur demande une présence accrue en mer de Chine, même si seuls quelques États européens sont capables d’y montrer leur pavillon. 

De leur côté, les Européens sont dans une phase d’attente : chat échaudé craint l’eau froide. L’Amérique est de retour, mais l’Europe n’a pas oublié Trump. Or l’éventualité de sa réélection ou d’un Républicain qui lui ressemble ne peut être écartée. Si bien que d’un côté ils célèbrent la pax americana retrouvée, mais de l’autre ils ne veulent pas se laisser embarquer dans une confrontation avec la Chine. D’autant que si la Russie reste le principal problème sécuritaire depuis 2014, la Turquie, membre de l’OTAN, est devenue un problème tout aussi important. Cela non seulement en raison de son antagonisme historique avec la Grèce, mais aussi de par sa volonté d’instrumentaliser la diaspora musulmane européenne et des liens qu’elle entretient avec les factions djihadistes en Syrie ou ailleurs. D’autant que les États- Unis ont, jusqu’à présent, refusé de traiter la question turque et prônent, à juste titre, la désescalade avec Vladimir Poutine. Les Européens risquent donc se retrouver de plus en plus seuls avec leurs problèmes : l’Ukraine, la Turquie et la gestion de crises dans leur voisinage, en particulier au Sahel et en Syrie. 

Dans ce contexte, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, avance ses pions. Le groupe de travail « NATO 2030 » a proposé des thèmes tels que la « résilience » ou la cyber sécurité qui sont au cœur de l’action de l’Union européenne depuis la stratégie globale de 2016 et dont les leviers d’action sont entre les mains des États membres. Dans le même ordre d’idée, le groupe de travail a proposé d’intégrer la lutte contre le terrorisme au cœur des missions de l’Alliance (‘core tasks’). N’était- il pas question d’éviter toute « duplication » ? 

De surcroît, le groupe NATO 2030 appelle l’Alliance à élaborer une « stratégie en faveur des technologies émergentes et disruptives » dont l’articulation avec le programme de travail du Fonds Européen de défense laisse perplexe. S’agit- il de faire payer par l’Union européenne une stratégie décidée à l’OTAN alors même que le Fonds a pour objectif de contribuer à l’autonomie stratégique européenne ? Enfin les considérations quant à la prise en compte du changement climatique, de la ‘green defence’ et même de l’énergie, de la pandémie et du rôle des femmes dans la paix et la sécurité témoignent de la volonté d’étendre les compétences de l’OTAN à tous les sujets à la mode et questionnent sa vocation première : alliance militaire ou agence tous risques ? Certes, ce n’est pas la première fois que l’Alliance joue la stratégie du coucou. On se souvient de l’initiative lancée par Anders Fogh Rasmussen, en faveur d’une ‘smart defence’ pour faire pièce au ‘ pooling and sharing’ de l’Agence européenne de défense. Mais tout de même : à quoi joue le secrétaire général ? S’est- il lancé dans une course de vitesse afin de faire adopter le nouveau concept stratégique de l’OTAN avant la boussole stratégique de l’Union européenne ? 

Au final et pour répondre succinctement à votre question, pour ce qui est de l’évolution du lien transatlantique la balle est dans le camp des États- Unis et accessoirement dans celui de l’organisation otanienne. Les Européens attendent pour voir et risquent, ce faisant, de n’être que les spectateurs du film de leur histoire. 



Quelles conséquences l’élection de Joe Biden va-t-elle entraîner pour la défense européenne ? Peut-on parler de nouvelles perspectives ? 

La défense européenne évoluera en fonction de deux facteurs : l’un externe qui est précisément lié à la garantie de sécurité apportée par les Américains au travers de l’OTAN et l’autre interne qui dépend de la volonté des Européens d’assurer leur propre défense. 

C’est triste à dire, mais l’approche de Donald Trump consistant à re- mettre en cause l’absolue certitude que les Américains viendraient en aide à l’Europe si celle- ci était attaquée, a été le catalyseur le plus puissant de l’idée de défense européenne. Son approche transactionnelle de l’article 5 consistant à ne garantir le secours américain qu’aux seuls États faisant des efforts budgétaires a décillé les yeux de nombre de partisans du lien transatlantique. Il a fait ce qu’aucun Président américain n’avait fait avant lui : il a lié les questions de sécurité aux questions de commerce, remettant ainsi en question l’avantage que l’Union tire de son unité en matière de négociation commerciale. En retirant des soldats américains d’Allemagne il a envoyé un signal fort à l’Union, lui intimant de se soumettre en matière commerciale ou de se démettre en matière militaire. Ce qui, ajouté aux sanctions extraterritoriales qu’il a menacé d’imposer aux entreprises européennes qui ne se retireraient pas d’Iran, a consacré la vassalisation de l’Union et acté sa transformation en un protectorat américain. 

En rétablissant la certitude, ne fut- elle qu’apparente, de la garantie de sécurité américaine, Joe Biden provoque la décélération de l’un des deux moteurs de l’intégration militaire européenne. Toutefois, l’intérêt bien compris des États- Unis est davantage d’avoir des d’alliés capables, susceptibles de leur apporter leur aide, que des vassaux incapables qu’ils devront protéger coûte que coûte. Aussi il sera intéressant de voir si son administration sera capable d’exiger des Européens non plus tant des inputs financiers que des outputs militaires, charge à eux de s’organiser pour les produire. Cela pourrait prendre la forme d’un corps intégré européen au sein de l’OTAN qui pourrait servir aussi bien à la défense territoriale qu’à la gestion de crise pour peu que les Européens se dotent conjointement des ‘enablers’ stratégiques nécessaires. Ou au contraire l’administration Biden continuera- t- elle à invoquer l’objectif des 2 % du PIB auxquels tous les alliés s’étaient engagés en 2014 et qu’il ne servirait à rien de remplir tant la défense européenne est fragmentée entre vingt- sept ministères de la défense, chacun avec ses priorités. 

Il faut dire que les Américains n’ont pas été convaincus du sérieux des initiatives européennes en faveur de leur propre défense. Ils craignent qu’il s’agisse surtout de mesures protectionnistes en faveur de l’industrie de défense européenne, d’où leur insistance à entrer dans la coopération structurée permanente, ce qui soit dit en passant est contraire aux traités européens, et dans le Fonds européen de défense, ce qui ne laisse pas de surprendre quand on sait que le volume de ce Fonds n’est que de un milliard d’euros par an alors que la recherche de défense américaine bénéficie de plus de 90 milliards d’euros par an, dont trois au seul titre de la DARPA, l’agence chargée de développer les technologies émergentes et disruptives. Pour leur part les Européens, et en particulier les Français, n’ont pas su convaincre les Américains que plus d’autonomie ne voulait pas dire moins de lien transatlantique. On peut être « alliés », « amis » et néanmoins « autonomes », c’est- à- dire vouloir vivre selon nos propres lois, si tant est que les mots aient un sens. C’est une question de fierté et de liberté. 

Pour ce qui est du deuxième moteur de la défense européenne, l’intention de se défendre, sa combustion est étroitement liée à la capacité des Français et des Allemands à trouver un terrain d’entente alors que tout les sépare en matière de défense. En dépit des échanges acrimonieux intervenus à l’autonome 2020 entre le président Macron et la ministre de la défense Kramp- Karrenbauer, on peut penser néanmoins que les dirigeants des deux pays ont réussi à trouver un accord autour du concept d’autonomie stratégique, pour le moment. 

Si on lit bien les déclarations de Madame Kramp- Karrenbauer, la chancelière étant restée très silencieuse sur le sujet, Français et Allemands semblent d’accord pour dire « oui » à une autonomie stratégique limitée à la gestion de crises dans le voisinage de l’Europe lorsque les intérêts européens sont en jeu. C’est- à- dire « oui » à un retour à la politique de sécurité et de défense commune. Cela surprend néanmoins quand l’on connaît l’impossibilité juridique des forces allemandes à s’engager dans des conflits qui ne seraient pas couverts par un mandat de l’ONU ou à tout le moins un mandat de l’Union. Mais c’est quand même un « oui » même s’il est conditionné à un renforcement de l’engagement européen dans l’OTAN. Ce qui n’est pas forcément pour déplaire aux Français. A condition que l’on mesure cette contribution en termes militaires, ils n’ont rien à craindre sur le sujet. 

Mais ce « oui » à plus d’Union européenne veut dire aussi pour les Allemands « non » à une autonomie stratégique étendue à la défense du territoire de l’Union par les seules forces armées de ses États membres. C’est- à- dire « non » à une « défense commune », dont l’objectif est pourtant inscrit dans les traités européens. 

Pour être plus précis, le désaccord porte davantage sur l’horizon temporel dans lequel une telle défense commune serait susceptible d’advenir. Alors que pour les dirigeants français elle serait souhaitable le plus vite possible, pour les Allemands, et sans doute pour une grande majorité des autres dirigeants européens, une telle défense n’est pas souhaitable car inutile tant que la crédibilité de l’Alliance atlantique sera garantie par les Américains. Cela équivaut à la repousser aux calendes grecques, si l’on admet que la survie de l’OTAN est dans l’intérêt des Américains, ce que même Donald Trump avait fini par comprendre. 

En définitive, tout cela donne un peu l’impression de tourner en rond : les Américains ne veulent soutenir les Européens qu’à condition que ceux- ci fassent des efforts, mais les Européens ne feront de réels efforts en termes militaires, et pas seulement financiers, que le jour où les Américains ne les soutiendront plus. L’articulation entre l’OTAN et la défense européenne reste toujours à trouver : pilier européen et/ou retour à la PSDC ? La boussole stratégique dira peut- être qu’il faut faire les deux. 


Le constat s’impose que, malgré l’importance de ses moyens, le Royaume-Uni ne s’est jamais réellement engagé dans la défense européenne. N’est-ce pas toutefois préférable de l’avoir à l’intérieur de l’Union, comme allié potentiel, plutôt qu’à l’extérieur, comme concurrent potentiel ? 

Il faut que les Européens se mettent une bonne fois pour toutes dans la tête que les Britanniques n’ont jamais voulu la constitution d’une défense européenne. Ils n’ont accepté la déclaration de Saint- Malo, c’est- à- dire la constitution d’une « capacité autonome d’action » et des « moyens de déci- der de leur emploi » (ce qui est la meilleure définition à ce jour de l’autonomie stratégique) pour la « gestion de crises internationales », que parce que les Américains les y poussaient et que les Français le voulaient. Passé cette brève « romance » comme la qualifiait en 2010 le Financial Times (‘the failed romance of Saint Malo‘) et après les cicatrices laissées par l’intervention en Irak en 2003, les Britanniques ont tout fait pour bloquer les avancées de la défense européenne. Tout au plus ont- ils accepté des coalitions ad hoc telles que le Combined Joint Expeditionary force issu des accords de Lancaster House avec la France, ou le Joint expeditionary force mis en place avec huit autres pays du Nord de l’Europe. 

Aujourd’hui, alors qu’ils se trouvent en dehors de l’Union, les Britanniques veulent encore moins entendre parler de défense de l’Union européenne que lorsqu’ils y étaient. C’est du reste ce qu’a affirmé le ministre de la défense britannique, Ben Wallace, dans une récente conférence donnée pour le CNAS (Center for a New American Security) le 23 mars 2021 : ”The security of Europe is increasingly important for the UK, and Her Majesty Government wants to work closely with our allies. This does not mean that the UK supports the EU involvement into defence. Should the UK have remained inside the EU, it would have fiercely opposed any growth of the EU in defence matters.” 

L’autre point cardinal de la politique de défense du Royaume- Uni est de demeurer la principale puissance militaire européenne, devant la France, au moins en termes de dépenses budgétaires, et ce afin de sécuriser sa position de « meilleur allié » des États- Unis. On remarquera au passage qu’en termes militaires et en dépit des accords de Lancaster House, le Royaume- Uni n’est intervenu que très chichement en soutien de la France dans la bande sahélo-saharienne. Les forces armées britanniques sont très dépendantes des États- Unis et il serait illusoire de penser qu’elles sont capables de sortir sans leurs alliés d’Outre- Atlantique. 

L’espoir d’une coopération entre les Britanniques et l’Union européenne, en tant que telle, est donc vain. Ce qui ne veut pas dire que les Britanniques ne restent pas les alliés et les amis des Européens et qu’il ne faut pas tout faire pour préserver et même faire fructifier ce qui marche encore entre le Royaume- Uni et certains États européens, en particulier dans le domaine de l’industrie de défense. Mais les Britanniques privilégient d’abord et avant tout leur alliance avec les États- Unis au travers de l’OTAN. Ce ne sont du reste pas les seuls Européens dans ce cas. La différence avec les autres, est qu’ils rejettent toute idée d’Union politique et sont convaincus de faire partie d’un ensemble mental qu’ils appellent l’Anglosphère qui les relie intimement par la langue à leurs cousins américains, canadiens ainsi qu’aux pays du Nord de l’Europe. Ce n’est que de façon subsidiaire et pour prouver leur capacité d’entraînement qu’ils consentent à des alliances bilatérales, qui ne les obligent pas vraiment en dehors d’exercices conjoints, avec d’autres pays européens ‘like-minded.’ 

Dans ces conditions faut- il craindre que le Royaume- Uni ne devienne un concurrent de la défense européenne ? Oui, et non. Oui, car nul doute que les gouvernements britanniques utiliseront leur influence, notamment au sein de l’OTAN, pour contrecarrer les initiatives en faveur d’une défense européenne. Non, tout simplement parce que, avec ou sans eux, il est peu probable que la défense européenne voie le jour au sein des institutions de l’Union telles qu’elles existent aujourd’hui. Le principal obstacle à la naissance de cette Union européenne de défense et de sécurité tient à la structure des institutions européennes. Tant que cela ne changera pas, il est vain de croire qu’une défense européenne, entendue au sens de défense de l’Union, par l’Union et pour l’Union, puisse voir le jour. 


Alors que le projet de défense européenne ne semble toujours pas sorti de l’impasse, vous invitez à constituer un Conseil de défense européen. Quelle format serait celui de cette nouvelle institution, et comment permettrait-elle de débloquer la situation ? 

Pour comprendre ce qui se passe, il faut revenir à la naissance de l’idée même de défense européenne. Celle- ci est née dans les sables d’Irak en 1991 quand les Européens, en particulier les Britanniques et les Français, se sont rendu compte qu’ils étaient incapables de projeter de la puissance et d’inter- opérer efficacement avec les forces américaines. Puis il y eut les guerres de Yougoslavie dans la décennie 1990 et là encore le constat amer fait par les Européens qu’ils étaient incapables, sans l’aide des États- Unis, d’empêcher un génocide à « deux heures d’avion de Paris ». D’où la volonté, affirmée à Saint- Malo, puis à Cologne en 1999, par les quinze États membres de l’époque de doter l’Union européenne d’une capacité d’action autonome de gestion de crises. 

Or, depuis le début des années 2000, les États membres européens se sont concentrés sur la première composante de l’autonomie stratégique : la capacité d’action. Ils ont cru qu’il suffisait de créer des outils pour que la volonté de s’en servir suive. Ils en ont créé beaucoup et même une boîte à outils entière depuis la création de l’Agence européenne de défense jusqu’à celle du Fonds Européen de défense, en passant par la Coopération structurée permanente. Ils ont produit toutes sortes d’instruments susceptibles de forger, un jour, cette fameuse « capacité autonome d’action », noyant les citoyens européens dans une soupe incompréhensible d’acronymes. 

Ce faisant, ils ont mis sous le boisseau l’aptitude à décider, car ils voulaient impérativement rester dans un cadre intergouvernemental où les décisions se prennent à l’unanimité. Or, il ne peut y avoir d’ autonomie stratégique sans que ces deux éléments ne soient réunis simultanément. Car il ne servirait à rien de disposer d’un corps d’armée de 60 000 hommes – objectif fixé à Helsinki en 1999 – si aucun processus de décision n’était mis en place pour décider de son emploi et que le veto d’un seul État membre suffise à tout bloquer. La Russie de Vladimir Poutine et la Turquie de Recep Tayyip Erdoğan montrent que la puissance dépend au moins autant de l’efficacité de la chaîne de commandement que de l’importance des moyens à disposition et comment des États dont le poids économique est très inférieur à celui de l’Union européenne la surclassent dans le champ géopolitique. 

Autrement dit, l’impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la défense européenne tient au fait que rien n’a été conçu pour la doter de la gouvernance nécessaire afin qu’elle puisse exprimer sa volonté en matière militaire. Or il n’est pas possible d’envisager d’envoyer des soldats, donner la mort et la recevoir, sur la base d’une négociation transactionnelle qui, comme on l’a vu dans la gestion de la pandémie, est devenue la règle aujourd’hui dans les relations entre États européens. 

Décider c’est choisir, choisir c’est renoncer. Et aucun État ne renonce à défendre ses intérêts sans contrepartie s’il n’est pas contraint de le faire. La défense européenne ne pourra donc naître que le jour où sera mise en place une instance d’arbitrage capable de prendre des décisions. Or chaque État ayant la conscience de son histoire et la stratégie de sa géographie il est illusoire d’espérer une convergence spontanée des intérêts qui rendrait possible l’adoption de décisions par consensus. Dans l’état actuel de la construction européenne seule l’adoption de la règle de la majorité qualifiée permettrait peut- être de doter l’Union d’une « aptitude à décider » second élément indispensable qui rentre dans la composition de l’autonomie stratégique. 

Le problème est que le passage à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère et de sécurité commune exigerait, l’unanimité des membres du Conseil. C’est la célèbre clause passerelle de l’article 48.7 du Traité sur l’Union européenne. Et comme par ailleurs toute révision des traités exigerait elle aussi l’unanimité, la création d’une Union européenne de défense et de sécurité se trouve bel et bien dans une impasse. 

La seule solution serait donc de mettre en place, en dehors du cadre de l’Union, une instance ad hoc, une sorte d’« Eurogroupe de défense », dans lequel les décisions se prendraient en commun et qui disposerait de son propre budget militaire. Cette idée a été avancée lors du sommet de Meseberg entre la France et l’Allemagne en juin 2018 sous le nom de « Conseil européen de sécurité ». Toutefois, et contrairement à ce qui avait été avancé à l’époque par la France, il parait désormais impossible de proposer au Royaume- Uni d’en faire partie. Du reste le Royaume- Uni ne demande rien et surtout pas de se voir contraint dans un cadre institutionnel plus contraignant encore que celui qu’il vient de quitter. 

Rien ne se passera avant les élections législatives allemandes à l’automne 2021 et présidentielle française au printemps 2022. Si ces élections devaient porter au pouvoir des dirigeants réfractaires, voire hostiles à l’idée même de défense européenne, alors la fenêtre d’opportunité qui s’était ouverte avec l’élection de Donald Trump (le facteur externe) et d’Emmanuel Macron (le facteur interne) se refermera pour longtemps et l’Union européenne sera condamnée à rester un simple enjeu de pouvoir entre les États- Unis et la Chine. Elle sera peut- être même contrainte de prendre part à une confrontation qu’elle n’aura pas voulu. Chacun le sait l’histoire est tragique et aucune civilisation n’est im- mortelle. L’Europe ne fait pas exception. Il est grand temps qu’elle se réveille. 

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Résumé
Frédéric Mauro est avocat au barreau de Bruxelles et spécialiste des questions de défense européenne. Voir son site internet. Diplômé de l'Université Sorbonne - Paris I en droit public et deSciences Po, il est administrateur du Sénat de 1989 à 2014, avec une orientation notamment vers les questions de défense et de forces armées. Depuis 2015, il est avocat au barreau de Bruxelles. Depuis 2017, il est chercheur associé au sein du Groupe deRecherche et d'Information pour la Paix et la sécurité (GRIP), et chercheur associé à l'IRIS depuis 2018. Il participe à l'élaboration de nombreux rapports parlementaires, en particulier les rapports sur les programmes budgétaires d’équipement des forces et de recherche de défense. Il revient avec nous sur l'actualité de la défense européenne, sur ses rapports avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et sur ses perspectives d'évolution.
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