Les Lumières de Guillaume Cravero sur la finance climatique

1°) L’accord de Paris de 2015, à travers l’engagement ambitieux de contenir le réchauffement climatique bien en dessous de 2°C, avait montré que les dirigeants du monde entier semblaient avoir pris conscience de la gravité des questions écologiques. Pourtant, dès décembre 2017, la première édition du One Planet Summit s’ouvrait le constat qu’il fallait en faire davantage ; et lors du One Planet Summit Biodiversité en janvier, Emmanuel Macron faisait le constat d’un « échec » collectif. La communauté internationale vous paraît-elle aujourd’hui à la hauteur du défi ? 

La prise de conscience est essentielle mais je rappelle que, bien avant l’Accord de Paris, le Protocole de Kyoto avait déjà institué des obligations de réduction de gaz à effet de serre. Nous étions en 1997. Le constat d’échec est de mon point de vue lié à la pandémie et à la crise sanitaire, sociale, politique et économique qui s’en est suivie. Cette crise est venue percuter nos systèmes de protection et de production, ainsi que nos conforts économiques, pour révéler nos faiblesses structurelles. Il faut ajouter à cela l’impact climatique et médiatique « visible » des grands incendies en Australie, des épisodes de canicules plus fréquents, auxquels se succèdent d’autres extrêmes tels que les pluies torrentielles. Autant d’événements qui deviennent récurrents dans notre quotidien, semblent plus tangibles et obèrent notre capacité de résilience. 

La notion de communauté internationale désigne les États et responsables politiques. Ces derniers doivent constamment jongler entre les programmations portant sur des objectifs de long terme et les réactions politiques ou médiatiques fondées sur une autre temporalité, le court terme. Cela génère une véritable contradiction en matière d’action publique et de priorisation. Il convient cependant de rappeler que chacun d’entre nous est, également, en charge de ce qu’il advient : on ne saurait continuer d’échapper à nos responsabilités individuelles et quotidiennes. Le climat est donc l’affaire de tous, responsables politiques comme citoyens, entreprises ou administrations. Les plus jeunes ont souvent l’impression de porter le fardeau des générations précédentes ; je regrette que la mobilisation n’apparaisse pas comme étant un sujet intergénérationnel. 

Dans le paysage actuel, le retour des États-Unis au niveau fédéral et la nomination du Secrétaire d’État John Kerry comme envoyé présidentiel spécial pour le climat envoient un signal fort à la communauté internationale. Cela ne signifie pas qu’il ne s’est rien passé pendant 5 ans dans ce pays, car l’on peut noter que de nombreuses villes ou États américains ont continué leurs engagements climatiques, en témoigne l’initiative US Climate Alliance regroupant les gouverneurs de 25 États pour continuer l’action climatique vers l’Accord de Paris. Néanmoins, l’administration Biden va devoir reconstruire sa force de frappe (expertise et politique) au sein des agences fédérales. Le Sommet des dirigeants sur le climat organisé par l’administration Biden le 22 avril, « jour de la Terre », sera un premier test. 

En matière d’action climatique, c’est l’Union européenne qui a été pionnière au niveau régional et international, grâce à une série de textes législatifs et non législatifs dans un grand nombre de secteurs. Les Européens doivent continuer de tirer l’agenda global vers le haut, mais elle n’est pas en ordre marche pour le déploiement d’une diplomatie climatique structurée et offensive qui devrait, à mon sens, devenir la priorité d’action des bureaux de représentation de l’UE. Par exemple, la nomination d’un réfèrent climat de haut-niveau au sein de chacune des représentations, accompagnée de prérogatives et responsabilités claires, serait un moyen de gagner en influence. 


2°) Depuis plusieurs sommets sur le climat, le principe d’engagements juridiquement contraignants pour les Etats a été abandonné au profit du « pledge and review » : les gouvernements prennent des engagements volontaires, dont la réalisation est ensuite contrôlée. Critiqué du fait d’un risque de greenwashing et de promesses prises à la légère, ce principe vous paraît-il aujourd’hui opportun ? 

Répondre au changement climatique est un sujet éminemment scientifique devant se baser sur des études sérieuses et des données statistiques. Par exemple, les travaux de l’initiative Science Based Targets ou encore de la communauté open source OS Climate sont essentiels. Les engagements volontaires ne sont pas plus ou moins bien que les engagements juridiquement contraignants, ils sont complémentaires et peuvent d’ailleurs permettre une meilleure mise en œuvre des instruments législatifs. Ce qui compte, ce sont les résultats. En matière d’actions volontaires, on observe actuellement une augmentation des ambitions affichées «net zero», mais ce terme peut recouvrir une multitude de souhaits sans pour autant en détailler les moyens. 

Pour accélérer, il faut investir et disposer de plus de moyens financiers sans les- quels il serait impossible de déployer les technologies nécessaires, d’innover, de se requalifier, de former aux métiers liés à la transition, ou encore de développer une politique industrielle verte, exportatrice et vertueuse. Ainsi, le financement de la transition et les investissements doivent être au cœur des engagements des États et de leur plan d’action. C’est le rôle du Green Deal européen et désormais du plan de relance. 


3°) L’Union européenne a fixé un objectif ambitieux de neutralité carbone en 2050, a mis en place un marché de droits d’émission de gaz à effet de serre (GES) – dont les prix sont d’ailleurs actuellement hauts - et le « Green Deal » porté par la Commission européenne prévoit des moyens conséquents. L’Union est-elle aujourd’hui sur la bonne voie ? 

L’UE a pris une longueur d’avance, rappelons-le. Le marché des droits d›émission est stimulé par un ensemble de facteurs, dont les niveaux de taxation, le renchérissement de la production de GES. C’est un marché utile mais qui doit être accompagné dispositifs de capture, de stockage ou d’utilisation du carbone (CCUS). L’Union a lancé une stratégie pour l’hydrogène qui doit réussir. Il faut également que les États membres soutiennent des initiatives individuelles locales telles que les start-ups de la clean tech, tout en garantissant aux entre- prises innovantes un accès au marché unique accéléré ou fast track pour les produits contribuant à limiter le changement climatique par la réduction de GES. Tout ceci requiert une approche à la fois politique, stratégique et opérationnelle. C’est sur ce dernier aspect - l’opérationnel - que, souvent, l’Europe se laisse distancer par ses concurrents internationaux. 

Il reste 7 mois avant la COP26 présidée par le Royaume-Uni qui se tiendra à Glasgow en novembre. L UE doit y arriver avec de nouvelles propositions afin de garder son leadership. L’un des grands enjeux reste la transition juste et l’accompagnement social des mutations, notamment dans certains bassins d’emploi. A Katowice, dans la région de Silesia, en Pologne, il reste encore une trentaine de mines de charbon employant 80 000 ouvriers, faisant vivre autant de familles. C’est un cas d’école. Il n’y aura pas de transition sans accompagnement au changement au niveau local, sans investissement dans des infrastructures de remplacement, sans transition professionnelle. Dans cette région polonaise comme d’autres, on peut citer le Wyoming aux États-Unis, ou encore en Chine ou en Australie, la valorisation du capital social et le besoin de perspectives de long-terme doivent être une priorité des politiques publiques. 

La Banque mondiale a publié un rapport très complet sur ce sujet. 


4°) Comment mobiliser les acteurs financiers sur les questions climatiques ? Quels sont les enjeux pour les investisseurs ? 

L’un des premiers enjeux pour les investisseurs est d’identifier la nature et l’am- pleur des risques climatiques de leurs investissements, et de les quantifier. Il s’agit à la fois des risques liés aux événements climatiques, par exemple aux aléas des récoltes dans l’agriculture, à la destruction des habitats dans certaines zones à risque, mais également aux dépréciations d’actifs, par exemple intégrer le bilan carbone d’une usine fortement émettrice de CO2. Un second enjeu est l’identification d’opportunités d’investissements et de projets bas (ou zéro) carbone, permettant aux investisseurs de réorienter leur stratégie d’allocation de capital ou de diversification de portefeuille. Certains investisseurs adoptent des stratégies d’adaptation voire d’exclusion, mais cette dernière voie est loin d’être réalisable sans passer le fardeau de l’adaptation des industries lourdes très carbonées à d’autres. 

Dans ce contexte, les investisseurs ont besoin de données claires et fiables relatives à la performance climat. C’est tout l’enjeu de la transparence et du reporting climat. Les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) sont largement utilisés, mais la difficulté réside dans l’existence de trop nombreux standards et d’indicateurs non harmonisés. Il est donc nécessaire d’accélérer sur la comparabilité, la cohérence et l’utilité des informations sur la durabilité. Cela commence par les entreprises elles-mêmes et leurs activités. Le débat risque de se focaliser sur les grandes entreprises mais les PME sont aussi concernées et il faut également les aider à y voir plus clair dans ce domaine. 

Les propriétaires d’actifs, tels que les fonds souverains ou les fonds de pension ont un rôle important à jouer car ils sont au début d’une chaîne d’investissements internationale. Certains ont décidé de demander aux gestionnaires d’actifs et aux entreprises de s’aligner sur les recommandations du TCFD pour entreprendre une stratégie de reporting climatique. Ces recommandations deviennent obligatoires en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni pour les entreprises cotées et sont déjà entrées dans la mise en œuvre de la NFRD pour l’ensemble des États membres de l’UE. Les indices de place se mettent également au diapason, en témoigne la récente déclaration des entreprises du CAC40, le 12 décembre dernier, jour du 5e anniversaire de l’Accord de Paris, associées à Bercy, Euronext, l›AMF et Paris Europlace, mais également les sociétés d’investissement privé. D’autres acteurs financiers ont un rôle à jouer. C’est le cas les banques centrales qui se sont réunies autour du réseau NGFS, également créé en 2017 au même moment que l’OPSWF au sein du One Planet Summit. La BCE, sous la présidence de Christine Lagarde, vient également de créer une équipe dédiée au changement climatique. 


5°) Un des grands enjeux de la finance verte est la construction d’indices fiables permettant de mesurer et de comparer la performance extra-financière des entreprises afin de guider les décisions d’investissement responsable. L’Union européenne développe dans ce cadre un projet de « taxonomie européenne », qui ne doit cependant entrer progressivement en vigueur qu’à compter de 2022. Pourquoi est-ce si difficile d’établir une telle grille de lecture ? Comment aidera-t-elle les acteurs financiers dans leurs décisions ? 

Au niveau international, il existe trop de standards différents. La régionalisation des relations internationales et des systèmes géopolitiques ne facilite pas la coopération en la matière. Il faut donc accélérer également dans ce sens et s’accorder sur des normes communes, par exemple en matière de comptabilité extra-financière. 

La taxonomie verte est une avancée majeure car elle va doter le secteur financier d’un langage commun, et donc orienter les décisions d’investissements à l’heure où le marché ne sait pas encore bien faire le tri entre les investissements qui vont dans le bon sens de ceux qui ne sont que pur marketing, rebranding ou greenwashing. Néanmoins, comme vous le soulignez c’est un règlement complexe. Nous sommes au bon moment pour sa mise en œuvre, cela passe par le développement d’outils harmonisés et de technologies basées par exemple sur l’intelligence artificielle (AI). Il existe des méthodes propriétaires comme en open- source. Je pense à la start-up Greenomy, qui a reçu le prix Fintech for Tomorrow, lancé par Finance for Tomorrow, pour avoir codé la taxonomie européenne. C’est l’avenir. La donnée va permettre d’aller à un niveau de granularité nécessaire pour pouvoir identifier où agir. La nouvelle frontière de la finance climat c’est de passer des critères ESG à la mesure de l’impact (la France a lancé le 25 mars une plateforme visant à promouvoir la finance à impact). Dans le même sens, chaque entreprise devrait pouvoir former une personne dédiée voire se doter d’une unité technologique et scientifique, ou d’outils dédiés au changement et à la résilience climatique, à l’appui de données exploitables, comparables et fiables. Les grandes entreprises ont les moyens mais elles peuvent aider les PME, par exemple dans le cadre de leur chaîne d’approvisionnement. 

Enfin, lorsqu’on parle des acteurs financiers et du mécanisme de décision interne aux organisations, on ne saurait que trop rappeler le nécessaire changement de culture dans l’entreprise et chez les actionnaires devant évaluer à la fois l›impact financier et climatique des activités. Les deux doivent aller de pair. Cela passe par la publication de KPIs de performance extra-financière en même temps que ceux de la performance financière, avec un focus sur les émissions de GES. Les actionnaires doivent faire plus pour proposer et soutenir des résolutions allant dans ce sens. Il est aussi question pour les entreprises du coût du financement de leur croissance durable. 

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Résumé
Guillaume Cravero est fondateur et Président de Business & SocietyAdvisers. Il est également conseiller stratégique auprès du One Planet Sovereign Wealth Funds (OPSWF), une initiative lancée dans le cadre duOne Planet Summit qui réunit les fonds souverains de 13 pays, au côté de gestionnaires d’actifs et sociétés de sociétés d'investissement privé, afin de les mobiliser sur les questions de finance durable. Diplômé de la London School of Economics et de Grenoble Ecole deManagement, il a coécrit le livre Creative Attitude, Pour inspirer, motiver,collaborer et innover en entreprise (Dunod, 2017). Lire également la tribune publiée dans le journal Les Échos - Transformation durable des entreprises : voici les bonnes pratiques. Il revient avec nous sur la transition écologique, et la manière dont la finance doit y contribuer.
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