Je suis d’accord avec cette impression : je pense que la stabilité et la stature européenne et internationale de Mario Draghi ont fait beaucoup de bien à la polarisation italienne. La capacité du pays à être à l’origine du plan de relance européen, aux côtés de la France qui a ensuite joué un jeu d’intermédiaire pour s’assurer le soutien de l’Allemagne, a aussi redonné aux Italiens l’impression de compter sur la scène européenne et que leur voix était enfin prise en compte sur des questions économiques, après les vagues d’austérité des années 2010 ou encore les difficultés budgétaires présentes sous les précédents gouvernements. Des difficultés subsistent bien évidemment et l’ élection du Président de la République italienne, qui arrive au début de l’année prochaine, ajoute un élément d’incertitude – certains parlent d’une possibilité pour que Mario Draghi s’y présente. Ceci replongerait le pays dans une situation d’instabilité s’il était élu : il est en effet celui qui permet à l’alliance entre des forces politiques très diverses de tenir au Parlement, et tout risquerait d’être à refaire s’il part. Il est également celui qui, avec sa grande connaissance des arcanes européennes, est vu comme le garant des fonds européens pour un pays qui a maintes fois été en conflit avec les institutions européennes en ce qui concerne l’accession et l’utilisation des fonds européens.
Il semblerait en effet que la nouvelle équipe dirigeante ait permis que les relations entre la France et l’Italie s’apaisent au cours des derniers mois. Il faut tout de même préciser qu’Emmanuel Macron a toujours eu de relativement bonnes relations avec Sergio Mattarella, l’actuel Président de la République italienne, et que les difficultés dans les relations ont eu lieu quand le Mouvement 5 Etoiles et la Ligue du Nord étaient tous deux au gouvernement.
La signature de ce traité est toutefois capitale de mon point de vue : il permet de ramener au même niveau la relation franco-italienne et la relation franco-allemande, répondant ainsi au sentiment d’infériorité que peuvent parfois ressentir les Italiens. En effet, le traité du Quirinal permet la mise en place de relations institutionnelles plus poussées, à tous les niveaux hiérarchiques, depuis des sommets réguliers entre ministres à une commission interparlementaire et à des échanges renforcés aux niveaux techniques. Ces échanges existaient bien évidemment déjà mais le traité permet leur structuration et institutionnalisation. Par ailleurs, ils auront lieu dans de nombreux sujets différents comme indiqué dans le traité, ce qui permettra également une meilleure pénétration des sociétés française et italienne entre elle, une meilleure connaissance et ainsi, à terme, une meilleure compréhension entre les deux pays.
Ce rééquilibrage des relations est à mon avis essentiel pour l’avenir de l’Union européenne et la cohésion entre les États membres. La crise du Covid nous a à nouveau montré – comme l’avaient fait les crises financières de 2008 et 2010 – combien les États européens pouvaient vivre des expériences différentes et combien leurs systèmes, malgré leurs interdépendances pouvaient être différents. Mais, à la différence des crises précédentes, le plan de relance est une initiative qui servira autant les États du Sud, plus touchés par la crise, que les États frugaux du Nord, initialement réticents. Un duo franco-italien fonctionnel a ainsi pu faire évoluer positivement le reste de l’Union. Par ailleurs, je doute que l’Italie aurait été inclue dans les échanges de ces derniers jours entre certains États membres de l’UE et les États-Unis au sujet de la situation à la frontière de l’Ukraine et dans les tentatives d’une médiation avec la Russie, si la relation entre la France et l’Italie ne s’était pas considérablement renforcée au cours des derniers mois – c’est également une preuve supplémentaire que la stature internationale de Mario Draghi a un impact sur les équilibres au sein de l’Union.
La Présidence française de l’Union européenne à partir de janvier 2022 coïncidant avec l’élection présidentielle française, Emmanuel Macron et les officiels français en charge de ce programme auront d’autant moins de temps pour mettre en place un programme de priorités qui semble chargé. L’Elysée aurait tout intérêt à inclure les États membres de l’Union avec lesquels la France sait pouvoir travailler efficacement afin de s’assurer que les dossiers qui lui semblent prioritaires puissent avancer au cours des six mois et que les divisions au sein des institutions ne se renforcent encore. Et il est évident qu’il existe de multiples sujets sur lesquels l’Italie pourrait aider, que ce soit sur le numérique ou sur les questions d’autonomie stratégique européenne.
Il est certain que la capacité des États aux économies les plus touchées par la crise sanitaire à remonter la pente sera des plus importantes au cours des prochains mois. Mais Rome a également un rôle à jouer alors que sa voix est davantage entendue actuellement qu’elle l’était ces dernières années : montrer le chemin pour d’autres États membres qui pourraient parfois être un peu plus silencieux ou impressionnés par un couple franco-allemand qu’on entend beaucoup. Si des États, tels que l’Italie, étaient davantage force de proposition et allaient également à la rencontre d’autres États membres pour constituer des coalitions poussant pour des sujets leur tenant à cœur – que ce soient des sujets sur le climat, le multilatéralisme ou le socle commun de l’Union – l’UE serait certainement plus à même de faire face à des blocs qui se sont constitués à l’intérieur de l’Union (tel que le groupe de Visegrad) et qui dictent parfois l’agenda. L’avenir de l’Europe dépend également des États qu’on entend moins – et de la capacité de la France à leur tendre la main, à former des coalitions qui pourront soutenir ses initiatives et les défendre face à de potentiels détracteurs.