Préface Antoine Arjakovsky 

Jean-Noël Tronc est un homme à la fois d’expérience et de conviction. Diplômé de l’Essec (grande école de commerce parisienne) et de Sciences Po, il a été proche de Michel Rocard. Il a également été conseiller de Lionel Jospin pour les technologies de l’information. Comme directeur de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, il s’est également engagé corps et âmes pour protéger les droits des auteurs et pour réguler au niveau européen l’industrie du numérique. Nouveau patron du Centre National de l’Enseignement à Distance depuis 2022, on imagine sans peine qu’il continuera ses combats en faveur d’une éducation humaniste et d’une culture créatrice au niveau national et européen. 

Dans Et si on recommençait par la culture? Plaidoyer pour la souveraineté européenne (Seuil, 2019), Jean-Noël Tronc pose à juste titre la question de l’identité culturelle des Européens. Car, plus que jamais, celle-ci est menacée. D’un côté le système culturel des GAFAM, qui pille les savoirs établis par les médias professionnels ainsi que les contenus culturels des artistes, s’est présenté en Europe de- puis trente ans comme un modèle de civilisation tout puissant et incontournable. Tandis qu’au même moment, sur le continent européen, l’Etat russe contestait l’ordre démocratique et libéral dans son ensemble. Il menace aujourd’hui toute la civilisation européenne par son utilisation massive des discours de propagande et par sa volonté de détruire l’Ukraine, coupable d’avoir créé à ses frontières un Etat-nation démocratique et de vouloir rejoindre la grande famille des nations européennes. 

Seule une Europe souveraine est en mesure de résister à de tels assauts. Mais ceci implique que les Européens sortent de leur torpeur métaphysique caractérisée par la croyance, dominante après la chute du mur de Berlin, en la fin de l’histoire. Pour se dresser contre les nouveaux Barbares du XXIe siècle, les Européens doivent aujourd’hui sortir de l’état de comas amnésique qui les caractérise depuis la victoire intellectuelle du courant de la déconstruction. Il leur faut se souvenir de l’adage de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». 

Il ne peut y avoir de souveraineté européenne sans une conscience éthique commune et sans une identité culturelle partagée. Le problème est que l’Union européenne ne consacre que 250 millions par an à la culture sur ses 260 mil- liards de budget, soit 0,001 % (1/1000e) de ses moyens. En outre, jusqu’il y a peu, les élites européennes, paralysées par le paradigme post-moderne, n’étaient pas en mesure de proposer un contre-modèle à l’ultra-libéralisme et à l’ultra-autoritarisme. D’où l’intérêt de la réflexion pionnière et de l’engagement tenace de Jean-Noël Tronc en faveur d’une Europe de la culture. Cette expression signifie qu’après le temps de la construction institutionnelle, économique et monétaire, les Européens doivent prendre conscience d’eux-mêmes comme une méta-nation disposant d’une responsabilité particulière à l’heure des grands défis du monde global. Cette nation de nations, ou cette Fédération d’Etats-nations selon l’expression de Jacques Delors, doit pouvoir être capable de s’enraciner dans un espace d’expérience partagé. Elle doit être en mesure de se projeter dans un horizon d’attente commun. De telle sorte que la civilisation européenne puisse s’épanouir dans un même espace-temps fait de liberté, de justice, de respect de l’environnement, et de paix. 

Cette nouvelle orientation civilisationnelle passe d’abord par un combat sur un plan législatif au niveau du Parlement et de la Commission européenne. Depuis plusieurs années, Jean-Noël Tronc a mobilisé ses réseaux pour que soit adoptée en 2019 une directive créant des droits nouveaux pour les médias, les auteurs, les artistes. Cette directive a pu définir des conditions plus transparentes pour les relations avec les grandes plateformes Internet, en leur demandant notamment de payer les contenus qu’elles aspirent sur les sites de la presse. Mais elle a établi aussi une exception en faveur des start-up européennes, d’une durée de trois ans, pour favoriser leur développement et a clarifié le statut des internautes qui partagent des contenus. Après la crise de l’industrie culturelle européenne liée à la COVID19, Jean-Noël Tronc s’est également mobilisé pour que soit ap- porté un soutien financier public massif aux industries créatives et culturelles européennes. Le rapport qu’il a commandé en 2021 à Ernst and Young consul- ting a proposé de soutenir l’investissement privé aux entreprises, organisations, entrepreneurs et créateurs des ICC mais aussi de « mobiliser les imaginaires et les forces créatrices de la culture pour répondre aux défis de demain. » 

Ses combats n’ont pas été vains. Depuis mars 2022 l’UE a mis en place des règles à travers le Digital Market Act pour stimuler et déverrouiller les marchés numériques, renforcer la liberté de choix des consommateurs, permettre un meilleur partage de la valeur dans l’économie numérique et stimuler l’innova- tion. En outre le Digital Service Act obligera désormais les sites de vente en ligne à contrôler l’identité de leurs fournisseurs avant de proposer leurs produits. De nouvelles obligations ont été imposées aux très grandes plateformes, comp- tant «plus de 45 millions d’utilisateurs actifs» dans l’UE (dont Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft ainsi que Twitter). Ces acteurs devront évaluer eux-mêmes les risques liés à l’utilisation de leurs services et mettre en place les moyens appropriés pour retirer des contenus problématiques. Ils se verront imposer une transparence accrue sur leurs données et algorithmes de recommandation. Ils seront audités une fois par an par des organismes indépendants et placés sous la surveillance de la Commission européenne qui pourra infliger des amendes atteignant 6% de leurs ventes annuelles en cas d’infractions ré- pétées.Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine et des conséquences particulières sur la manipulation de l’information en ligne, un nouvel article a été introduit afin de mettre en place un mécanisme de réaction en cas de crise. Ce mécanisme, activé sur décision de la Commission, permettra de prendre des mesures «proportionnées et efficaces» à l’égard des très grandes plateformes qui contribueraient à répandre de fausses informations. 

Il se trouve qu’au même moment où Jean-Noël Tronc menait ses combats en faveur d’une Europe de la culture et des imaginaires, avec une trentaine d’historiens européens, nous avons publié une Histoire de la conscience européenne unique en son genre (Salvator, 2016). Nous avons proposé en effet un récit à la fois diachronique et synchronique du cœur pulsant de l’identité européenne, à savoir la volcanique conscience européenne. Sans la moindre visée apologétique, mais sans renier pour autant les pages les plus glorieuses de la conscience européenne, nous avons montré qu’au cours de ses différentes périodes paradigmatiques (l’âge mythologique, l’âge des chrétientés, l’âge des Lumières et des Modernités séculières et l’âge du projet politique), la conscience européenne a été marquée par le goût grec de l’universalité, le sens romain du droit, la représentation judéo-chrétienne mais aussi islamique d’un Dieu créateur ainsi que la conception humaniste de la dignité inaliénable de tout être humain. Ce projet historiographique est resté inachevé. Aujourd’hui le président Macron souhaite le relancer dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE. Plusieurs historiens européens ont immédiatement réagi1. Ils se disent prêt à mettre en œuvre une histoire de la conscience européenne qui soit à la fois celle des historiens de métiers et celle de chaque citoyen européen, une sorte de vaste mosaïque de regards croisés interactifs et connectés qui permettrait de rendre présente la grande aventure de « l’art d’être au monde européen ». Seront-ils (enfin) entendus ? Nul ne le sait. Dès à présent cependant, le plaidoyer vibrant de Jean-Noël Tronc en faveur de la culture européenne mérite d’être lu avec attention. 


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Résumé
" Jean-Noël Tronc est un homme à la fois d’expérience et de conviction. Diplômé de l’Essec (grande école de commerce parisienne) et de Sciences Po, il a été proche de Michel Rocard. Il a également été conseiller de Lionel Jospin pour les technologies de l’information. Comme directeur de la Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, il s’est également engagé corps et âmes pour protéger les droits des auteurs et pour réguler au niveau européen l’industrie du numérique. Nouveau patron du Centre National de l’Enseignement à Distance depuis 2022, on imagine sans peine qu’il continuera ses combats en faveur d’une éducation humaniste et d’une culture créatrice au niveau national et européen. "
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